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« Le changement climatique va accroître l’instabilité du climat » - Entretien avec Dr. Bernd Hirschfeld

Dr Bernd Hirschfeld est responsable de l’unité de validation au sein du service actuariel de Generali Deutschland AG. Auparavant, Il était cadre supérieur chez KPMG pendant plusieurs années et se concentrait alors sur la gestion des risques. Il est actuaire de DAV et est membre des deux groupes de travail « ORSA » et « Tasks of the RMF and Climate Change - Actuarial Implications in Non-Life Insurance ». Dr Hirschfeld dirige également le groupe de coordination pour le développement durable, qui rassemble l’ensemble du travail de DAV sur le développement durable et le changement climatique.
Written on 08/06/2022
Le développement durable prend de plus en plus d’importance au niveau national, mais surtout au niveau européen. Avec l’inauguration de la nouvelle Commission européenne, l’objectif de faire de l’Europe le premier continent neutre sur le plan climatique d’ici 2050 (« Pacte vert pour l’Europe ») a été confirmé. Pour atteindre cet objectif, un ensemble de mesures à plusieurs niveaux a été proposé. Cela inclut, entre autres, le « Plan d’action : financement de la croissance durable », qui vise à renforcer les aspects de durabilité dans de nombreux domaines du secteur de la finance et de l’assurance.
À quels impacts climatiques pourrait-on s’attendre si le cadre juridique actuel est conservé tel quel et qu’aucun ajustement n’est apporté?

En effet, il existe un écart énorme entre l’Accord de Paris contraignant à l’échelle mondiale (maintenir la hausse de la température mondiale moyenne bien en dessous de 2 °C ; de préférence limiter l’augmentation à 1,5 °C) et le cadre juridique actuel. Les projections scientifiques fondées sur l’hypothèse des « politiques actuelles » entrent dans la catégorie appelée « monde chaud ». Elles démontrent que les émissions mondiales annuelles de CO2 resteraient à peu près au même niveau pendant au moins les trente prochaines années. Par conséquent, l’augmentation de la température moyenne mondiale atteindrait certainement 2 à 2,5 °C d’ici 2060 et déclencherait probablement des points de basculement (comme le dégel du pergélisol). En pratique, cela conduirait également à une instabilité accrue des conditions météorologiques en Europe, avec des pluies abondantes et des inondations plus fréquentes et plus graves, des vagues de chaleur et des pénuries d’eau. Pour être honnête : le scénario des « politiques actuelles » est un scénario épouvantable pour toutes les personnes qui vivront dans les années 2060 et au-delà.

À l’occasion des discussions à l’échelle de l’industrie sur les changements climatiques, le DAV aimerait créer un nouveau groupe de travail sur les scénarios climatiques. Quels sont exactement les plans de ce groupe de travail ?

Le groupe de travail tentera de trouver une solution à cet énoncé plus vrai que jamais : « L’histoire n’est plus représentative de l’avenir ». Si nous examinons, par exemple, la modélisation des répercussions des effets physiques des changements climatiques sur l’industrie de l’assurance, nous devons réaliser une transition entre les projections climatiques et les projections relatives aux demandes d'assurance. Les résultats publiés des projections climatiques consistent principalement en des variables telles que la température moyenne annuelle globale ou les quantités de précipitations, parfois aussi des percentiles. Cependant, ces éléments ne peuvent pas être utilisés pour modéliser les catastrophes naturelles qui se produisent en quelques heures ou quelques jours. Par conséquent, nous échangerons avec des climatologues afin de combler cet écart. Cela est également vrai pour l’assurance-maladie et l’assurance-vie, où des implications pour les tables de mortalité et de morbidité doivent être prises en compte. Et je n’ai pas encore mentionné les répercussions économiques de la décarbonisation. Tous ces sujets doivent être traités dans des scénarios cohérents. Il s’agit donc assurément d’un programme complexe.

Au sein du DAV, vous traitez des changements climatiques et de leurs effets dans divers groupes de travail. Les investissements durables sont de plus en plus importants. Qu’est-ce que cela signifie exactement pour le secteur de la finance et de l’assurance et surtout pour la profession d'actuaire ?

Dans le monde d’une crise climatique émergente, les investissements sont confrontés à de multiples menaces. Premièrement, il y a les effets physiques mentionnés précédemment. Même si les dommages physiques pour les sites de production sont assurés, un site exposé aux effets physiques du changement climatique pourrait cesser d’être rentable. Ensuite, il y a la décarbonisation, c’est-à-dire la transformation de la production et de la vie vers des solutions sans énergies fossiles. Le progrès de cette transformation dépend largement de l’action politique, c’est-à-dire qu’elle est difficile à prévoir. Par conséquent, il est important de faire la distinction entre les actifs et les modèles d’activité fondés sur les combustibles fossiles et ceux qui ne le sont pas – ceux qui sont durables.

Pensez-vous que les actuaires sont conscients de l’importance des changements climatiques et des changements qui en découlent pour leur travail ?

Les actuaires sont de plus en plus conscients de l’importance de la crise climatique. Cependant, la plupart d’entre eux sous-estiment encore les implications pour le travail dans le secteur actuariel au quotidien. L’industrie de l'énergie ou le secteur de l’investissement ont beaucoup d’avance. Il n’y a pratiquement aucune tâche du secteur actuariel qui ne soit pas affectée par la crise climatique. Le Groupe de coordination pour le développement durable tente de traiter ce problème en renforçant la sensibilisation au moyen de publications et à travers la promotion d’activités éducatives.