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Le métier d’actuaire en pleine évolution

Dans notre interview, Wilhelm Schneemeier, président de l’Association européenne des actuaires et membre du conseil d’administration de l’Association allemande des actuaires, nous parle du rôle de la science des données dans la profession et de ce dont les jeunes actuaires ont besoin pour faire face à l’avenir.
Written on 06/04/2021

Interview avec Wilhelm Schneemeier, président de l’Association actuarielle européenne (AAE) et membre du conseil d’administration de l’Association allemande des actuaires (DAV) :

1. Les actuaires ont toujours travaillé avec les données. Quelle est la différence entre l’actuaire classique et le scientifique de données moderne ?

Il est vrai que notre profession a toujours travaillé avec les données et possède une grande expertise en termes de gestion et de traitement de ces données. Néanmoins, la quantité de données a changé avec le temps. Auparavant, il y avait tout simplement moins d'informations disponibles et elles étaient beaucoup plus regroupées avant que l’on puisse travailler avec : par exemple, dans le cas de la mortalité pour des assurances de protection des revenus ou des sinistres automobiles. C’était dû à des raisons techniques parce que les données ne sont pas que des chiffres. Par exemple, les informations liées à la santé étaient souvent conservées sous forme de texte. Contrairement à ce qu'on pouvait faire dans le passé, aujourd’hui nous sommes en mesure de traiter ces données et nous les prenons beaucoup plus en considération dans nos calculs. Le volume d'informations est tout simplement énorme. Il existe 1,5 téraoctet de données sur chaque individu. Tout le monde connait le Big Data et l’intelligence artificielle. Cela dit, la sélection et le traitement de ces données sont des évolutions techniques apparues seulement au cours des dernières années. Les actuaires ont appris des scientifiques de données et vice versa. Par conséquent, le travail des actuaires s’est considérablement élargi. Les données et algorithmes sont utilisés dans des domaines qui dépassent de loin le cadre classique des activités actuarielles, par exemple pour fixer les prix, constituer des réserves et gérer les risques.

2. Pourquoi les cinq dernières années ont-elles été particulièrement importantes dans cette optique ?

Nous parlons d’une évolution constante qui dure depuis plus de cinq ans. Cependant, c’est le laps du temps qu’il nous a fallu à la DAV au niveau national allemand et à l’AAE et l’AEAPP au niveau européen pour mettre en pratique ces sujets de manière formelle. À la DAV, nous avons réorganisé la structure de nos organismes et nos comités et nous avons inclus la science des données actuarielle dans nos programmes de formation. Au niveau européen, des groupes d’intervenants clés ont été organisés, sur l’éthique de l’utilisation des données par exemple. L’UE, elle-aussi, met en avant le problème de l’intelligence artificielle. Par conséquent, ces thèmes représentent également des problèmes clés qu’il me faut traiter pendant mon mandat en tant que président de l’AAE.

Mais revenons à la question. Pour moi, les évolutions récentes concernant la fixation comportementale des prix, qui inclut une masse hallucinante de données, ont été particulièrement frappantes. On ne peut pas non plus ignorer les problèmes tels que le changement climatique et la pandémie, pour lesquels en tant qu’actuaires nous devons encore plus développer notre savoir-faire, en utilisant des techniques de la science des données par exemple.

3. Maintenant, nous avons une question sur votre rôle en tant que président de l’AAE. L’UE met l’accent sur de nombreux sujets dans le domaine de la science des données. Quel rôle l’AAE joue-t-elle dans ce contexte?

À la Commission et à l’AEAPP, les sujets et les consultations sur les algorithmes et la fiabilité de l’intelligence artificielle font presque partie de notre quotidien désormais. Cependant, il faut faire attention à ne pas en faire de simples mots tendance, nous devons maintenir le lien avec la pratique professionnelle et le travail concret des actuaires. L’une des inquiétudes majeures de l’AAE est donc, par exemple, la responsabilité éthique pour les données : comment peut-on se démarquer ? Et à partir de quand est-ce que cela risque de devenir une source de discrimination ? Bien sûr, ce n’est pas notre objectif que certains groupes n’aient plus accès à l’assurance automobile mais si nous ne pouvons plus faire de différence entre les genres au moment de fixer les annuités, c’est tout simplement mauvais du point de vue de l’exposition au risque pure. Et que signifie la fiabilité de l’intelligence artificielle ? Au final, on en revient toujours aux algorithmes, à leur paramétrage, à la transparence et à la plausibilité de leurs résultats. Peu importe la formation des actuaires appartenant à notre profession, l’engagement à l’égard des normes professionnelles et éthiques est un véritable incontournable.

4. Comment les associations actuarielles devraient-elles réagir à cette évolution?

Du point de vue de l’AAE, il est clair que de nouvelles catégories d’affiliation voient le jour au fur et à mesure. L’association française en est un parfait exemple. En plus de la qualification actuarielle, une filière Science des données a été créée avec succès. En Allemagne, nous sommes allés plus loin dans la spécialisation en proposant des formations pour devenir Scientifique de données actuariel certifié. En tant qu’actuaires, nous devrions de plus en plus présenter notre profession dans les universités. Cependant, pour rester à la page, nous devons garder un œil sur d’autres sujets allant au-delà de la science des données.

5. Y a-t-il quelque chose que les futurs actuaires devraient garder à l’esprit pendant leur formation?

Avant l’année 2000, la gestion d’actifs était le thème majeur pour les actuaires avec l’apparition du concept de « l’actuaire 3.0 ». La gestion des risques nous a amené à « l’actuaire 4.0 ». Aujourd'hui et grâce à la science des données, nous en sommes à « l’actuaire 5.0 ». Même si, comme je l’ai déjà mentionné, la mise en œuvre des méthodes de science des données est le dernier sujet d’actualité, le développement et la spécialisation au sein de notre profession ne va pas s’arrêter là. Les associations actuarielles européennes vont également étendre leur champ d’action.

Il est très important de faire face ouvertement aux évolutions actuelles. Mais, en tant qu’actuaires, nous devons nous concentrer sur ce qui nous rassemble au cœur de notre métier. Et ce sera toujours une solide base mathématique et l’utilisation de méthodes stochastiques et des statistiques dans un contexte économique.