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« Les femmes aux postes de direction ne sont plus un simple « petit plus agréable » »  - Entretien avec Sabine Betz

Sabine Betz est Présidente de l'association des actuaires suisses (SAV) et exerce son métier dans le secteur des assurances avec succès depuis de nombreuses années. Elle a travaillé environ 10 ans pour la compagnie d'assurance Zürich Versicherung en Allemagne, puis 11 ans pour Deloitte en Suisse. En 2015, elle a rejoint EY en Suisse et a ainsi renforcé l'équipe actuarielle en tant que partenaire et responsable du secteur des assurances. En 2021, elle a été désignée membre du conseil d'administration de EY.  Madame Betz est en outre engagée depuis de nombreuses années comme mentor au sein de différents organismes, notamment auprès de l’association professionnelle « Advance – Gender Equality in Business ».
Written on 05/10/2022

Madame Betz, vous exercez avec un grand succès depuis de nombreuses années dans le secteur des assurances. Comme depuis longtemps, les postes de direction dans l’industrie de la finance et des assurances sont majoritairement occupés par des hommes. Pourquoi est-ce toujours le cas et qu’est-ce qui doit changer à l’avenir selon vous ? 

Pour commencer, je dois dire que je perçois un changement notable dans l’attribution des postes de direction ces cinq dernières années. Je suis convaincue que les portes nous sont nettement plus ouvertes à nous les femmes et que les femmes ne sont plus un simple « petit plus agréable » aux postes de direction. La sensibilisation de la direction concernant l’importance de ce thème est évidente et pas seulement pour les postes au conseil d'administration, mais aussi pour le comité exécutif. Cependant, et je vous donne raison sur ce point, nous sommes encore loin d'avoir atteint le niveau que nous souhaiterions et cela dépend aussi de nous les femmes. Nous sommes en partie encore trop hésitantes lorsqu'il s'agit de prendre davantage de responsabilités et d’assumer de nouvelles tâches. Je ne le sais que trop bien de par ma propre expérience et je peux dire qu’à chaque fois que j'ai osé franchir le pas, j’ai été enthousiasmée par ma nouvelle mission. Je pense que nous devons aussi nous motiver et nous aider davantage mutuellement et j’observe aussi beaucoup plus de mouvement en ce sens que par le passé. Et pour finir, nous pourrions aussi progresser beaucoup plus rapidement sur la voie de l'égalité dans la répartition des postes de direction en offrant davantage de possibilités de temps partiel et d’horaires de travail flexibles pour les collègues masculins et je constate ici assurément plus d'intérêt pour cela chez la jeune génération. Les jeunes pères sont assurément très différents de la génération de nos pères ou de nos conjoints dans la manière dont ils souhaitent s'occuper de leur famille et cela sera aussi un aspect décisif pour augmenter le nombre de femmes occupant des postes de direction.  Je suis donc clairement optimiste.

Vous parvenez à concilier famille et carrière avec succès. Quels conseils donneriez-vous aux travailleuses qui souhaitent faire évoluer leur carrière tout en ayant une famille ?

Ce qui est important, c’est de travailler dans une entreprise dans laquelle on se sent vraiment appréciée et soutenue et dans laquelle la culture d’entreprise établit clairement comme objectif de faire parvenir des femmes qui ont une famille à des postes de direction. Pour cela, il faut qu'il y ait une certaine flexibilité définie et appliquée. Ensuite il est essentiel d'avoir le courage nécessaire au bon moment pour endosser de nouveaux rôles en interne, d’avoir confiance en soit et bien sûr également de se faire remarquer et de faire part de ses ambitions. Nous les femmes nous sommes souvent encore trop modestes sur ce point. Et avec une famille il est bien sûr extrêmement important de partager les « tâches familiales » avec son partenaire. Dans mon cas, mon conjoint et moi-même avons longtemps travaillé à 80 % et nous ne devions ainsi faire garder nos enfants que trois jours dans la semaine. Cela a bien fonctionné ! Il faut aussi tenir compte du fait que l'on ne peut pas être partout, cela vaut aussi bien pour les événements d’entreprise que pour les occasions privées et il est important d’être très bien organisé et de dire « non » parfois. Ceux qui s’imposent une charge trop lourde sont rapidement dépassés. Mais d'après mon expérience, la famille et la carrière sont parfaitement conciliables si les conditions au sein de l’entreprise et dans la vie privée sont adéquates. Si ce n’est pas le cas, il faut avoir le courage de changer ces conditions.

Au cours de votre carrière, avez-vous eu la sensation d’être désavantagée à cause de votre sexe ou d’avoir eu un parcours plus « chaotique » que des hommes avec des compétences similaires voire moins qualifiés ?

Non, je ne dirais pas que j'ai connu une véritable discrimination à ce niveau. Du fait d'avoir fondé une famille, je n’ai probablement pas fait carrière aussi vite qu’un homme dans une structure familiale « classique », c’est-à-dire avec une femme au foyer ou en travail partiel, ou qu'une femme sans enfants, mais je l'ai très bien accepté. Je conseille surtout de ne pas trop se mettre de pression. Une carrière n’est pertinente que si c’est une carrière heureuse et cela ne peut pas se prévoir avec certitude, mais il faut avoir le courant de saisir des opportunités au bon moment et au bon endroit.

Quelle étape dans votre carrière a nécessité le plus de courage pour vous ?

Assurément mes deux changements d’entreprise. Je suis quelqu’un qui aime beaucoup être proche de son équipe et cela a donc été difficile pour moi. Mais au final cela a toujours été la bonne décision et j’ai gardé contact encore aujourd'hui avec les collaborateurs dont j'étais proche. Par principe, je pense cependant que cela vaut la peine d'apprendre à bien connaître une entreprise et de ne pas changer trop souvent. La carrière évolue peut être plus rapidement en changeant beaucoup d’entreprise, mais ce n’est pas forcément une carrière heureuse.

En tant que présidente de l'association des actuaires suisses, vous occupez un poste important en parallèle de votre métier. Le thème de la diversité ou de l’égalité des changes est-il selon vous déjà traité de façon suffisamment active dans le monde des actuaires ? 

Je m’estime très chanceuse d'avoir toujours travaillé dans un « environnement » actuariel car en tant qu'actuaires, nous faisons toujours passé « ce qui est juste » au premier plan. Nous sommes des personnes très analytiques et cela nous amène généralement à prendre des décisions justes. Il s'agit moins de savoir qui a raison, qui est plus important, etc. Cela créé également des relations très agréables et au sein de la communauté actuarielle, nous sommes ainsi déjà très en avance sur la question de l'égalité des chances. Je pense que d'autres « secteurs » ont beaucoup à apprendre de nous en ce qui concerne l'égalité. Bien sûr chez les actuaires aussi, les postes de direction sont encore dominés par des hommes, nous avons donc toujours du retard à rattraper. J’observe cependant beaucoup de mouvement dans le bon sens dans l’ensemble du secteur des assurances depuis deux ans environ et cela me rend optimiste. Le thème de la diversité ou de l'égalité des chances est abordé activement dans l’industrie des assurances et en tant qu’actuaires nous devons surtout nous aider mutuellement, par exemple à travers le mentorat, tel que nous l’avons mis en place au sein de l’association des actuaires suisses.