Défis ou opportunités : un marché en pleine évolution pour les actuaires versus la science des données

Par Yiru (Eve) Sun, Roger Yuan, et Mark Spong
Yiru (Eve) Sun, FSA, MAAA, PhD, est directeur général de Aon. Roger Yuan est analyste chez Oliver Wyman. Mark Spong, FSA, MAAA, est cadre senior chez Oliver Wyman.

Les défis du marché du recrutement dans le secteur actuariel

Le nombre de candidats se présentant aux deux premiers examens de la société américaine des actuaires (SOA) pour la Probabilité (P) et les Mathématiques financières (FM) a diminué de près de 50 % au cours des huit dernières années (fig. 1), avec une baisse moyenne de 7 % par an, bien que le nombre de candidats était en augmentation constante avant 2013. 

Figure 1. Nombre de candidats pour les examens d'actuaire débutant de la SOA
Cette tendance est cohérente avec la perception du public de la profession d'actuaire qui était constamment classée dans le top 3 des listes de métiers au niveau national pendant plusieurs années avant 2013, avant que son classement ne chute rapidement à la 10ème place ou au-delà depuis le milieu des années 2010, ce qui coïncide avec l'apparition des besoins dans le domaine de la science des données.  Le tableau 1 compare le classement des actuaires, des ingénieurs logiciels et des scientifiques des données, dans le classement des 200 meilleurs métiers de CareerCast au cours de la dernière décennie.  D'autres sources ont montré une tendance similaire, par exemple les actuaires étaient classés au premier rang par CNN et le Wall Street Journal vers 2010, alors que U.S. News classe actuellement les actuaires à la 20ème place, derrière les développeurs logiciels (5ème) et les scientifiques des données (6ème).  

Tableau 1. Tendance des classements des postes d’actuaire, d’ingénieur logiciel et de scientifique des données de CareerCast 4

Il n’y a pas de classement des métiers 2022 sur careercast.com.

L’une des hypothèses est que les scientifiques des données et les offres de postes similaires attirent les actuaires potentiels et les éloignent de la profession. Nous avons interrogé quinze universités, des associations d'actuaires et leurs jeunes diplômés pour voir si cette tendance était perceptible. Le tableau 2 illustre les pourcentages de répartition des diplômés dans le domaine actuariel s'orientant vers différentes carrières que nous avons collectés dans le cadre d’entretiens ou par le biais d'autres canaux de communication. Plusieurs autres écoles qui n’ont pas pu nous communiquer les pourcentages de répartition nous ont également transmis leurs observations qualitatives. Voici un résumé de certains apprentissages clés :

• Les candidats des écoles reconnues comme des centres d’excellence dans le secteur actuariel (CAE) par la SOA ont plus de deux fois plus de chances de poursuivre une carrière dans le domaine actuariel que ceux des écoles que la SOA a reconnu comme des universités et écoles avec des programmes actuariels - cursus avancés (UCAP-AC) ou ceux des universités et écoles avec des programmes actuariels - cursus d'initiation (UCAP-IC). En outre, les programmes les plus solides semblent attirer d’autres majors en raison du programme et des ressources de premier ordre. 
• Les majors en science des données établis récemment éloignent certains étudiants de la science actuarielle. Bien que le pourcentage de ce changement soit faible jusqu’ici, un certain nombre de personnes interrogées ont perçu que la popularité du programme des sciences actuarielles est en déclin
• Pour les étudiants internationaux aux États-Unis, il y a un sentiment général qu’il est plus difficile d’obtenir un poste d'actuaire qui permet d'obtenir un visa de travail, alors que la plupart des métiers dans le secteur de la science des données fournissent toujours un parrainage 

Tableau 2. Répartition des étudiants en actuariat dans divers parcours de carrière au cours des dernières années

Sources : les données ont été obtenues dans le cadre d’entretiens avec des associations d'actuaires d'écoles, ou des professeurs, ou des jeunes diplômés.

Les résultats mitigés entre les deux premières observations laissent à penser que les programmes actuariels universitaires les plus solides sont de plus en plus solides, tandis que les écoles qui ont de jeunes programmes ou de petits programmes peuvent éprouver des difficultés. Par exemple, les salons autour de la carrière d'actuaire ont tendance à ne rencontrer du succès qu'après avoir atteint une échelle leur permettant d’assurer une bonne fréquentation à la fois par des candidats potentiels et des recruteurs. 

En plus d’entretiens qualitatifs et de chiffres de postes, nous avons également étudié la rémunération moyenne et la localisation. Ces deux facteurs peuvent être comparés de façon explicite et peuvent fournir des informations sur l'attractivité perçue et la facilité d'accès aux deux parcours professionnels. 

Nous avons comparé les tendances en termes de rémunation totale (salaire de base plus bonus) entre les actuaires, les scientifiques des données et leurs carrières associées dans la figure 2. Le revenu moyen des actuaires est inférieur à la fois au niveau débutant et au niveau expérimenté. 

Figure 2. Comparaison du revenu total moyen par rapport aux années d’expérience.

Peu importe l’exactitude ou le biais de ces chiffres, ils restent importants à analyser car ils façonnent la perception publique et influencent les décisions des candidats. 

En plus de la rémunération, la localisation est également l’un des facteurs essentiels qui influence les décisions des candidats. La figure 3 représente la répartition de 79 sièges d’entreprises d’assurance-vie aux États-Unis ainsi que des 77 universités et écoles américaines qui ont des programmes actuariels reconnus par la SOA comme des CAE ou UCAP-AC. La répartition se chevauche beaucoup. Les sièges des entreprises d'assurance-vie et les écoles actuarielles sont concentrés dans les états du centre ouest et du nord-est. On peut remarquer que toutes les fonctions actuarielles ne sont pas situées dans le même état que les sièges d’entreprises, cependant les plans sont tout de même édifiants. Pour les états très peuplés comme le Texas, la Californie et la Floride, il peut y avoir une à trois entreprises d'assurance-vie seulement, alors qu’un grand nombre d’entreprises embauchent des scientifiques des données et/ou des ingénieurs logiciels dans la plupart des états. 

Figure 3. Répartition des entreprises d'assurance-vie aux États-Unis et des universités actuarielles américaines

 
Ces deux cartes représentent la répartition géographique de 79 sièges d’entreprises d’assurance-vie aux États-Unis ainsi que des 77 universités et écoles américaines qui ont des programmes actuariels reconnus par la SOA comme des CAE ou UCAP-AC aux États-Unis.

Les cartes mettent en évidence un autre facteur clé selon lequel, pour les États qui ont moins de possibilités d’emploi actuariel, l’absence de réseau professionnel ou de modèles de comportement peut constituer un obstacle à la sensibilisation des étudiants et des professeurs à la profession actuarielle. Cela peut expliquer pourquoi un pourcentage élevé de candidats potentiels n’explorent jamais pleinement les possibilités actuarielles. 

Le côté positif, c’est que, même si le nombre de candidats aux examens d’entrée de la SOA a considérablement diminué, le nombre total de candidats aux examens de haut niveau visant la Fellowship of Society of Actuaries (FSA) continue d’augmenter (fig. 4).  Cela indique que le vaste horizon de la carrière actuarielle attire encore et incite beaucoup d’étudiants en actuariat talentueux à explorer toute la profondeur de cette dernière.

Figure 4. Nombre de candidats aux examens d'adhésion à la SOA (y compris les 6 parcours)

 Les chiffres décomptés ici dans les 23 examens d'adhésion en plus des 6 parcours de la SOA vers la FSA. 

Grâce à une gestion prospective des talents, les compagnies d’assurance peuvent améliorer l’organisation du recrutement, la rétention et l’avenir de leur organisation. Les recruteurs ne perçoivent peut-être pas une pénurie de candidats en actuariat au niveau débutant (pour l’instant), mais il y a encore beaucoup d’opportunités pour améliorer les programmes actuariels afin de les adapter aux diverses expériences et aux intérêts des candidats.

Cet article a été publié pour la première fois dans The European Actuary, n° 32 : https://actuary.eu/wp-content/uploads/2022/11/TEA-32-DEC2022.pdf